Une élection haïtienne : L’avènement de Jean-Pierre Boyer à la présidence

Les mécanismes de succession en Haïti ont toujours été extrêmement compliqués. Le refus de respecter les règles prédéfinies a constamment jeté le pays dans les plus grands troubles. Déjà, en 1806, les premières élections législatives avaient débouché sur une guerre civile qui a divisé le pays en deux. Les hommes de l’Ouest ayant de façon unilatérale décidé d’augmenter le nombre des députés dans le but d’avoir la majorité face à Christophe. En 1811 et 1815, Petion s’était d’ailleurs fait réélire en dehors de toute légalité par une minorité de sénateurs. Les élections compliquées sont donc aussi vieilles que notre vie politique.

Pétion est mort le 29 mars 1818 après plusieurs semaines de maladie. Auparavant, il avait fait rédiger une constitution en 1816 en vertu de laquelle il avait été proclamé président à vie avec droit de désigner son successeur. Il n’avait pas usé de ce droit parce que celui en qui il avait mis tous ses espoirs pendant longtemps: Jean-Pierre Boyer, lui était devenu hostile à la fin de sa vie et lui avait piqué sa compagne, Joutte Lachenais plus prosaïquement. Les deux hommes se détestaient parfaitement à la fin de la vie de Pétion tout en jouant le jeu d’une hypocrisie consommée.

Pétion, une fois mort, le parlement se réunit pour lui désigner un successeur et les candidats ne manquaient pas. Le secrétaire général Imbert, fut chargé d’assurer l’intérim. Parmi les candidats, on trouvait Jean-Pierre Boyer, Guy Joseph Bonnet, Etienne Magny, Jérôme Maximilien Borgella et Louis Laurent Bazelais, tous généraux. Quant à Balthasar Inginac, quoique capable, n’avait aucune chance car étant civil. Le pouvoir exécutif étant au XIXème siècle, l’apanage exclusif des généraux de l’armée.

Guy Joseph Bonnet était un ancien officier rigaudin lors de la guerre du Sud, il avait participé au complot contre Dessalines et poussé vivement à la guerre civile contre Christophe. Toutefois, comme administrateur des finances de 1807 à 1810, il avait montré de réelles capacités et fut le seul à avoir mis un peu d’ordre dans les finances durant tout le règne de Pétion. Il était sans doute un homme capable de diriger le pays mais les officiers de l’Ouest ne lui pardonnaient pas son soutien à Rigaud lors de la brève scission du Sud (1810-1812).

Louis Laurent Bazelais, fut lui aussi un ancien officier rigaudin et chef d’Etat major de Dessalines et de Pétion, il était considéré comme un héros de la guerre de l’indépendance mais il avait la réputation peu flatteuse d’être un ivrogne invétéré. Le général Jérôme Maximilien Borgella était aussi un combattant de la guerre de l’indépendance puis avait soutenu Rigaud lors de la scission du Sud et de ce fait les politiciens de Port-au-Prince le considéraient comme un séparatiste. Quant au général Etienne Magny, il était de loin le meilleur choix à faire, homme du Nord, il avait fait défection au profit de l’Ouest lors du siège de Port-au-Prince par Christophe en 1812; administrateur habile, son passé d’ancien lieutenant de Christophe le desservait aux yeux du peuple de l’Ouest en dépit du fait qu’il était un héros de la Guerre d’indépendance lui aussi.

Jean-Pierre Boyer était pratiquement un inconnu jusqu’en 1812, il ne s’était signalé par aucun acte important durant toute la guerre de l’indépendance, il devait toute sa fortune à Petion qui l’avait nommé d’abord secrétaire particulier en 1807 puis commandant de la Garde puis de l’arrondissement de Port-au-Prince en 1812. Tous les officiers généraux le considéraient de fait comme un parvenu et ne l’aimaient guère.

Cependant, il avait des avantages considérables, d’abord comme commandant de Port-au-Prince, toutes les troupes de la capitale où se trouvaient le parlement lui étaient fidèles, il avait en outre le soutien du général Gédéon, commandant de l’arrondissement de Léogane proche de la capitale.
Gédéon était un officier particulièrement intrépide et illettré, aveuglément dévoué à Pétion et à Boyer. Boyer avait aussi le soutien de tous les commerçants de la place de Port-au-Prince qu’il gavait de toutes sortes d’attentions et de faveurs.

Le parlement voulait prendre un certain temps pour analyser les candidatures mais Boyer lui savait que le temps jouait contre lui, toute élection à tête reposée pouvait montrer ses graves faiblesses par rapport à ses rivaux; il exigeait la tenue des élections immédiatement.

Le parlement se réunit donc le 30 mars soit le lendemain de la mort de Pétion. Le général Gédéon fit venir les troupes de Léogane qui se reunirent aux troupes du général Boyer à Port-au-Prince ; en outre Gédéon intima l’ordre aux sénateurs d’écarter toutes les candidatures sauf celle de Boyer sinon il menaça de faire proclamer Boyer président par ses troupes peu importe le résultat des élections au sénat. Lors du vote, les soldats de Boyer et de Gédéon se postèrent aux portes du parlement et plusieurs pièces de canons furent disposées en face du local pour parer à toute éventualité. Les sénateurs intimidés par cette démonstration de force élirent Jean-Pierre Boyer président à l’unanimité et sans aucun débat. Après 1806, une nouvelle crise de succession haitienne se terminait de façon ubuesque.

Boyer, président parvint à réunir l’ensemble de l’île sous son autorité. Toutefois, son long règne de 25 ans marqué par un esprit étroit, mesquin et obscurantiste joua un rôle important dans l’échec de la formation sociale haïtienne.

Source:

Thomas Madiou, Histoire d’Haïti tome V, 1811-1818.

Auteur

Pierre Darryo Augustin.